Les ateliers où l’on prend soin de la représentation des mots sont des endroits empreints de quiétude. Daniel Van Impe se définit comme étant sculpteur d’instruments d’écriture. La xylophilie le frappe depuis son enfance, alors à force de collectionner des morceaux de bois, il a bien fallu qu’un jour il se décide à en faire quelque chose. Après les beaux ateliers de fabrication de papiers et de reliures d’Art, il me fallait trouver un spécialiste de l’écriture. J’avoue avoir cherché longtemps tant la discipline me paraissait abordée trop légèrement par les artisans qui s’y frottaient. Chez Daniel, on est dans une autre dimension, celle de l’excellence et la recherche de la perfection, le fameux regard élargi que j’affectionne tant. On est donc loin du tournage basique des productions bas de gamme que l’on trouve trop souvent.
Daniel Van Impe : Tout commence il y a quelques années par un achat sur Ebay d’un lot de bois exotique, en France, pour ma collection. Je descendais chez ma mère et j’ai décidé d’en prendre livraison chez le vendeur directement. C’est ce détail, cette petite décision qui va marquer le tournant de ma vie puisque une fois sur place, le vendeur m’explique qu’il tourne des stylos. Au lieu de rester quelques minutes pour prendre livraison de mon colis, je passe la journée en atelier avec Jean-Marie qui me montre les rudiments du métier. Une fois rentré en Belgique, la passion ne me quittera plus.
L’arbre est tombé, certains le croient mort … Petit bout de bois, après avoir traversé les montagnes, les ruisseaux, enfin te voilà, vivant dans ma main … Peut-être te retrouveras-tu dans la forêt sous les doigts de ton nouveau compagnon, qui, en écrivant à l’ombre d’une ramure te fera frémir de bonheurs retrouvés.
LMdO : Qu’est-ce ça représente pour toi un objet d’écriture comme tu le conçois ?
DvI : Utiliser une plume, c’est un moment intime, un retour sur soi avec une remise en question car la plume est l’expression de notre humeur. L’objet en tant que tel a probablement moins d’importance que les émotions qu’il transmet. Néanmoins, mes plumes sont des bijoux intimes que l’on porte sur soi. Si l’on cherche à écrire en toutes circonstances, de façon économique et efficace mais uniforme, on se tourne vers le bon vieux « bic » à quelques centimes. Avec le plein et le délié, mes stylos plumes vivent, ils sont le reflet de l’âme.
LMdO : Sauf qu’à priori, tu n’as de prise sur les cursives dans la mesure où tu ne fabriques pas tes plumes ?
DvI : Une plume sans corps, c’est comme un moteur sans carrosserie. Tu ne vas pas bien loin. Reste que le choix que je porte sur les kits de montages va de paire avec ma recherche d’excellence. Malheureusement, ce choix se réduit de plus en plus car les plumes de qualité sont rares. Il reste deux fabricants sérieux que j’ai pu identifier et qui forgent encore leurs plumes : Bock et JoWo. Mon rêve c’est de pouvoir faire forger mes propres plumes mais pour l’instant, je dois me fournir chez les derniers spécialistes : il y a tellement de tailles que c’est impayable. Les autres pièces, je les maîtrise presque à 100% puisque je me suis même lancé dans la fonderie des pièces métalliques. Les calamophiles sont très exigeants, il faut aller loin dans les détails. C’est d’ailleurs un peu ma force car, quand on y réfléchit, un stylo hyper haut de gamme à 25.000 euros dans une marque célèbre ne sera jamais qu’un parmi tant d’autres. Chez moi, les pièces ont uniques, vous n’en trouverez jamais deux pareilles.
LmdO : C’est quoi un bel objet d’écriture ? Comment le sculpteur d’instruments d’écriture satisfait-il les calamophiles ?
DvI : Pour le sculpteur d’instruments d’écriture, la plume idéale est un objet qui correspond à son utilisateur. Pour les calampohiles, ce sont souvent des coups de cœur qui rejoignent des collections sans jamais être encrés, à la manière des plus belles armes de chasse par exemple. C’est dommage car ce sont des objets qui sont faits pour être utilisés et de préférence de façon intense. L’iridium qui constitue la pointe de la plume est très dur et doit se roder avec l’écriture de son propriétaire. D’ailleurs le stylo idéal n’existe pas vraiment. On en change au gré des humeurs. C’est l’apanage des collectionneurs un peu dandy qui en changent à la manière d’un accessoire aussi important que la cravate, les boutons de manchettes, les chaussures ou les ceintures. Je travaille d’ailleurs sur un semainier. A chaque jour son stylo.
LMdO : A l’heure de la dématérialisation à tout crin, quel est l’avenir de l’objet d’écriture ? Certaines écoles américaines ont d’ailleurs complètement abandonné l’écriture au profit de la saisie via écran …
DvI : Il est certain que mes stylos n’embarquent pas de correcteurs orthographiques. Qu’à cela ne tienne, mais il semble qu’il y ait déjà une marche arrière opérée par rapport au tout numérique. Le fait d’écrire à la main, de former des lettres engage un lien cérébral irremplaçable que les spécialistes du langage qualifient d’indispensable. Il n’est d’ailleurs pas vraiment question d’opposer les claviers à l’écriture cursive. Les deux mondes peuvent et doivent coexister.
L’écriture cursive, c’est l’écriture qui court littéralement sur le papier. Elle est garante d’une forme de liberté que nos systèmes démocratiques doivent protéger. On ne peut pas rendre l’expression écrite tributaire de fabricants de machines, de l’obsolescence de leurs équipements, voire d’une énergie. Sans électricité, pas d’informatique. Tout s’arrête tôt ou tard. Par ailleurs tous ces systèmes numériques sont codés à un moment ou un autre. Potentiellement, ce sont autant de Champollion informatiques à retardement que les générations futures devront gérer. Je le répète, on ne peut pas opposer les deux univers : l’écriture cursive doit cohabiter avec les technologies du 21ème siècle. C’est une raison de plus pour faire des objets de qualité et pour inciter les gens à prendre la plume.
LMdO : Parle moi de la façon dont tu crées ? Tu as beau être xylophile, le bois n’est pas le passage obligé, tu réalises des corps à base de charbon, de papier, tu détournes des couverts anciens, quelle est ta démarche quand un client pousse la porte ?
DvI : Le portrait chinois ! Je joue à « si j’étais… » avec mes clients. Cela suppose que je rentre partiellement dans leur intimité, qu’ils se confient en partie. C’est une relation de confiance. Partant de là, je travaille sur le concept, je fais quelques croquis et si je suis sur la bonne voie, je lance la production. Mais je me laisse toujours une marge de manœuvre pour m’exprimer artistiquement. Le client doit rester surpris à la livraison. C’est le test ultime, le moment où l’on a tout gagné ou tout perdu.
Par exemple, j’ai déstructuré un roman pour en utiliser une moitié, broyée, réduite en pâte pour fabriquer un corps de stylo plume. Le résultat s’apparente à de la corne mais à y regarder de plus près, les lettres apparaissent encore ici et là. L’autre partie du livre sert d’écrin à l’objet d’écriture. La symbolique est importante : les lettres retournent à l’objet d’écriture qui les a vu naître. J’ai paraît-il fait pleurer le père de l’écrivain en question quand il a vu mon stylo plume.
Ce sont des parcours de vie et de création que j’adore. Blue Moon est de la même veine : j’ai travaillé sur les fractales, les nombres premiers, la Provence, le phénomène de la lune bleue. J’ai réalisé les parties-bois en olivier de Provence, à partir d’un tronc ramené par mon grand-père pour mon père sculpteur il y a au moins 40 ans. J’ai dessiné pour le cabochon l’union de deux lunes bleues. Le bois a été coupé de travers et travaillé pour exprimer au mieux les fibres, symboles des fractales.
LMdO : Cette idée de détourner des objets pour en faire des objets d’écriture, ça n’a pas un côté un peu sacrilège ?
DvI : La question est légitime. Je pense détourner ces objets avec le plus grand respect qui soit, comme si je leur donnais une seconde vie. Dans la famille, on a du vider la maison de mes grands-parents à leur décès et on y a retrouvé des sticks de tambours. Mon grand-père était marcheur dans l’Entre Sambre & Meuse. Ces sticks auraient pu terminer à la poubelle, dans le fond d’une armoire pour toujours ou devenir des stylos pour la génération actuelle. Je les ai transformés, je leur ai donné une autre fonction mais j’ai tenté d’y toucher le moins possible. Leur âme est intacte.
Daniel Van Impe : le Site Web
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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