Rafaël Van Mulders luthier guitar. Cigar Box Guitars : la seule règle c’est qu’il n’y a pas de règles…
Le Habano est considéré par la majorité des amateurs de cigares comme le meilleur au monde. Ils sont particuliers et le terroir cubain produit des cigares d’une grande complexité aromatique. Il est utile de rappeler qu’en règle générale, la force d’un cigare est inversement proportionnelle à son diamètre. [source Wikipédia] … Si Dieu est un fumeur de Havane (préférez dire Habano, le vrai terme), son supposé attrait pour la musique devrait lui faire croiser les Cigar Box Guitars d’un jeune luthier bruxellois qui a eu la surprenante idée d’utiliser des boîtes de cigares comme caisse de résonance. Mais est-ce si surprenant finalement ?
L’idée ne date pas d’hier en fait comme l’expliquent ces quelques lignes tirées de Wikipédia.
« Aux États-Unis les cigares étaient autrefois expédiés dans de grandes caisses contenant 100 pièces ou plus. Ensuite, les fabricants de cigares ont commencé à utiliser des boîtes plus petites, plus faciles à transporter avec 20-50 cigares par boîtes. C’est le « United States Revenue Act » de 1864 qui fit une obligation légale pour tous les cigares à être emballés dans des boîtes, une façon efficace de comptabiliser la marchandise et d’en tirer des accises.
La plus ancienne preuve illustrée d’un instrument de boîte à cigares connue est une gravure datant de 1876 montrant deux soldats de la guerre civile dans un camp, l’un jouant avec un violon construit autour d’une boîte à cigares (cigar box fiddle).
Ces guitares et violons en boîte à cigares ont contribué à l’augmentation des « jug bands* ». Comme la plupart de ces artistes étaient des noirs américains vivant dans la pauvreté, beaucoup ne pouvaient pas se permettre d’avoir un « véritable » instrument de musique. Ces artistes utilisèrent toute sorte d’instruments improvisés comme « washtub bass », sorte de basse primitive faite à partir d’une grande bassine de lessiveuse, des « cruches » comme trompette, des planches à laver pour la percussion, l’harmonica, et bien entendu des « cigar box guitars ».
La Grande Dépression des années 1930 a vu une résurgence des instruments de musique faits maison. Les temps étaient durs dans le sud et pour se divertir les gens assis devant le porche de leur maison chantaient leur blues. Les instruments de musique étaient hors de portée de ces artistes, mais une vieille boîte à cigares, un morceau de manche à balai et quelques fils tirés de la moustiquaire de la porte suffisaient à la réalisation d’une guitare de fortune.
Une renaissance moderne de ces instruments (aussi connue comme la Cigar Box Guitar Revolution) a eu lieu dans les années 2000 et continue de nos jours avec une augmentation des constructeurs et des interprètes de CBG. Cette révolution a eu lieu aux États-Unis d’abord avec des musiciens underground qui se produisent régulièrement dans des festivals dédiés à cet instrument ou lors des festivals de blues. Citons, entre autres, Docteur Oakroot, Johnny Lowebow, Tomi-O, Robert Johnston, Ted Crocker, Seasick Steve ou encore Shane Speal, autoproclamé « King of Cigar Box Guitar » (roi de la guitare de boîte à cigares). »
Aujourd’hui ce n’est pas moins que Paul Mc Cartney, Billy Gibbons, Jack White qui ont adopté la Cigar Box Guitar sur scène ou en studio. Une multitude d’artistes leur a d’ailleurs emboîté le pas.
Rafaël Van Mulders : Je baigne dans la musique depuis toujours. Ma maman rêvait de faire de moi un grand pianiste, ce qui a bien failli arriver. Mais à la grâce d’un accident de moto, j’ai du renoncer à présenter mon examen final, mes mains m’avaient momentanément lâché ! Cette mésaventure allait me conduire vers une trajectoire moins conformiste, plus en phase avec ma nature profonde. A 16 ans, j’étais plus attiré par Kurt Cobain et Jim Morrisson que par Chopin ou Mozart, au grand désespoir de ma maman qui avait une formation classique rigoureuse. Elle même d’ailleurs s’attaquait souvent à des œuvres osées, s’amusant toujours à sortir des sentiers battus, finalement nous ne sommes pas si différents.
C’est à cette époque que j’ai commencé à vouloir étudier la guitare mais à la seule condition que je sois mon propre professeur, comme un vrai rockeur, sans le carcan habituel de l’apprentissage de la musique pour lequel j’avais décidément assez donné. C’est donc libéré de toutes ces chaînes que j’ai plongé dans l’art mineur de la musique populaire à travers la guitare.
LMdO : Ce qui ne fait pas encore de toi un luthier ?
RvM : Je suis d’abord passé par la case philosophie à l’université pendant quelques mois avant de comprendre que je n’étais plus fait pour l’apprentissage au sens scolaire du terme. La bonne nouvelle, c’est qu’ayant pris des cours de sculpture sur bois par passion, j’ai rapidement pu établir une jonction entre mes passions pour la construction et la musique. Mais j’ai d’abord du prendre conscience que l’on fabriquait toujours des instruments à l’heure actuelle et que la discipline portait même un nom : luthier … Aussi bizarre que cela puisse paraître, j’avais l’impression de me trouver face à des métiers complètement disparus. On m’a fait rencontrer deux luthiers qui m’ont pris sous leurs ailes, à la condition que je prépare l’école de lutherie de Crémone en Italie à la fin de ma première année d’apprentissage.
LMdO : On y vient … de Crémone aux guitares, il n’y a qu’un (grand) pas …
RvM : Haha. En fait, à part une fois pour m’y inscrire, je ne suis plus jamais retourné à Crémone bien que je m’y préparais activement … C’est qu’entre temps, j’ai effectué un voyage en équateur où j’ai rencontré un luthier extraordinaire à qui j’ai pu exprimer mon désir jusque là gardé secret de m’orienter vers la construction de guitares, instrument qui symbolisait tellement toute la musique que je chérissais. A l’issue de notre rencontre il m’a offert plusieurs ouvrages passionnants sur la construction et la réparation des guitares. Mais surtout, il m’a fait le privilège de me confier une touche en ébène pour guitare qui serait un jour intégrée dans un instrument de ma facture. De retour en Belgique, j’ai annoncé à l’un de mes Maîtres que je ne serais finalement pas luthier violon mais guitare. J’ai eu à peine le temps de terminer ma phrase qu’il me jetait dehors de l’atelier. Dans la lutherie, le violon a ses lettres de noblesse avec lesquelles on ne badine pas …
Sous les conseils du facteur de violes Pierre Van Engeland, le second luthier chez qui je travaillais, je me suis retrouvé au C.M.B à Puurs, dans la seule école de lutherie guitare de Belgique qui existait à l’époque. A la sortie, j’ai ouvert un atelier de lutherie guitare avec un camarade de cours. Ce fut idyllique pendant un an, jusqu’à ce jour fatidique où lors d’une dispute avec mon associé, j’ai mis fin à notre collaboration du jour au lendemain …
LMdO : Et le spectre des Cigar Box Guitars de se rapprocher ?
RvM : Pas du tout ! Je ne toucherai plus un instrument pendant cinq ans, cinq années pendant lesquelles j’ai vivoté. Quand le poste de luthier s’est libéré chez Azzato à Bruxelles (ndlr : un des meilleurs magasins d’instruments de la capitale), j’ai sauté sur l’occasion. J’ai naturellement recommencé à croiser de nombreux instruments. C’est ainsi que j’ai réparé des milliers de guitares au point d’en connaître tous le détails et le virus de la construction est lentement revenu. C’est en me renseignant sur le One Man Band australien, Juzzie Smith que j’ai découvert au hasard d’une interview la Cigar Box Guitar. J’ai tout de suite accroché : les racines du blues que j’adore, le côté « bricolé » de l’instrument, le son … tout cela m’excitait beaucoup au point que je commençais à en rêver la nuit …un signe probablement.
J’ai passé des jours et des jours à chercher des informations sur la construction de l’instrument avec une conclusion inattendue : la règle de construction, c’est qu’il n’y a pas de règle. J’avais donc les coudées franches pour lancer la fabrication de ma première Cigar Box Guitar.
LMdO : Sans plan et sans documentation ?
RvM : Pratiquement sans information en effet … pire encore, je n’avais jamais eu l’instrument en main jusque là … De la même façon que le jeu est instinctif, j’allais devoir me fier à mon intuition pour la construction puisque la caisse de résonance t’est imposée à travers la boîte de cigare sélectionnée. Moi qui sortais d’un cursus tellement encadré, tellement balisé à travers la musique classique et la lutherie traditionnelle, j’allais enfin pouvoir m’exprimer. Un accès à la liberté totale, puisque mes guitares sont faites sur base de mes mesures, de mes cotes et de mes observations. J’ai découvert cet univers en janvier 2013 et je n’en ai plus dormi. Je n’avais plus que ça en tête.
LMdO : Du règne de la débrouille des origines, tu as fait entrer la Cigar Box Guitar dans l’ère de la lutherie contemporaine, vers une certaine forme d’excellence ?
RvM : C’est tout le paradoxe de mon parcours en fait … Normalement, tu construis une Cigar Box à 14 ans, une guitare à 20 ans et un violon à 30 ans … Nombre de luthier rêve d’accéder à la quintessence de la discipline en construisant un violon parfait qui répond aux critères imposés par les anciens. Là aussi, j’ai fait exactement l’inverse en détricotant les règles. Néanmoins, ma formation de musicien classique et de luthier s’expriment clairement puisque mes instruments sont finis à la perfection. Ils sont justes, fiables, esthétiques, à la fois proches et éloignés de leurs racines. Ainsi, j’utilise uniquement des bois de lutherie traditionnelle comme par exemple l’érable américain, l’acajou ou le palissandre pour réaliser mes manches et je me sers de toute mon expertise pour en faire un instrument de qualité. Mes Cigar Box Guitars sont aussi montées avec du matériel de grande qualité, des mécaniques aux micros ce qui les rend tout à fait confortables pour jouer sur scène.
D’ailleurs, c’est impossible pour moi de ne pas m’appliquer avec un soin extrême sur mes instruments, je suis incapable de bâcler quoi que ce soit au prétexte qu’il s’agit d’instruments de la rue de conception simple.
LMdO: Qui sont tes clients?
RvM : C’est assez varié, ça va de l’amateur de guitare avide de nouvelles sensations au professionnel qui y voit souvent un instrument tout à fait complémentaire, entre le son d’une guitare acoustique et celui d’une guitare électrique. La première, je l’ai vendue à un roadie du Crosby, Stills and Nash, direction Etats-unis, son pays d’origine. D’autres sont parties en Irlande, en Italie et heureusement, certaines sont restées à Bruxelles! Je remercie d’ailleurs Sylvain Vanholme (Wallace Collection), Kris Dane, Thomas De Hemptinne (Great Mountain Fire), Alain Van Brussel (de Braave Joenges), et tous les autres pour leurs encouragements et leur confiance dont Marc Lelangue.
LMdO : Ote moi d’un doute … tu fumes le contenu des boîtes ?
RvM : [rire …] Vu mon stock, je pense que j’aurais quelques soucis de santé. J’ai un partenariat privilégié et amical avec La Tête d’Or au pied de la Grand Place de Bruxelles qui me garde les boîtes vides dont j’ai besoin. Leur variété est incroyable, les décors et les matériaux aussi. C’est une incroyable invitation au voyage. Le choix est assez cornélien et il conditionne évidemment le son de l’instrument. Toute la personnalité de l’instrument en dépend.
*Un jug band est un groupe de musique composé de musiciens qui utilisent à la fois des instruments traditionnels et des instruments bricolés. …
JUG Instrument : le Site Web.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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