Lunetier Ludovic à Bruxelles … la haute couture du regard.
Catapulté presque par dépit dans un cursus scolaire qui allait faire de lui un opticien, Ludovic a transformé l’essai en véritable révélation : lunetier ! Un métier rare au point de pouvoir affirmer qu’il est le seul en Belgique à pratiquer la discipline : élaboration, dessin et fabrication de montures, le tout étant évidemment équipé des verres dernière technologie dont Ludovic assure la monte … Un instrument de vue exclusif, réalisé entièrement sur mesure et à la main. Rencontre.
Ludovic Elens : La Belgique manque d’opticiens qualifiés de manière chronique. Je n’ai eu aucun problème à trouver plusieurs emplois chez les grandes enseignes classiques à la sortie de mes études. C’est mon passage chez Hoet qui va faire office de révélateur. Cette maison est mondialement connue et j’y croisais des clients qui débarquaient à Bruxelles de la planète entière. Du sur mesure en optique, entièrement designé à Bruxelles mais fabriqué chez les artisans réputés en la matière en France et en Allemagne. A force de voir passer de très belles réalisations sous mon nez, j’ai fini par être intrigué par les techniques de réalisation mise en oeuvre.
Monter ma propre affaire commençait à me titiller, j’ai entendu parler de l’Ecole des Meilleurs Ouvriers de France Lunetiers. J’ai cassé ma tirelire et suis parti faire deux formations à Morez dans le Jura. Ma vie allait changer car j’étais persuadé de pouvoir offrir un service unique à mes clients et à des tarifs relativement abordables.
LMdO : Un service unique à quel point ?
L.E : Durant mes études, j’ai appris à faire des examens de vue, à tailler les verres et les meuler, à les monter, voire à réparer des montures. Par contre, je n’avais aucune idée de la façon dont les lunettes sont fabriquées. Pourtant c’est la base : si on ne sait pas comment l’objet est fait, comment peut-on le vendre correctement et en toute connaissance de cause. Ces formations m’ont ouvert les yeux ! Je suis revenu avec un savoir faire unique. A ma connaissance, je suis le seul en Belgique à proposer ce service.
LMdO : J’ai pu observer la patience dont tu dois faire preuve pour arriver à l’excellence qui est la tienne. Pourtant, quand je vois le parcours fait en deux ans depuis tes premières formations à Morez, il me semble que tu dois être un fonceur dans l’âme …
L.E : Fabriquer des lunettes est une vraie thérapie pour les fonceurs … la matière te le rappelle et tu comprends vite que si tu la brusques, elle va te le faire payer cash. Mon petit cimetière de lunettes en atteste. Régulièrement, lors d’une opération de polissage ou de montage, l’acétate ou la corne casse. Parfois après des heures et des heures de travail qu’il faut alors reprendre de zéro. J’ai très vite appris à me calmer même si je ne suis pas à l’abri d’un incident. Ces matières sont vivantes, il faut les respecter. Par contre, en effet, s’agissant du projet dans sa globalité, j’ai plutôt foncé c’est vrai puisqu’en 2013 je ne savais rien de la fabrication d’une monture et que le premier janvier 2015 je sortais mon premier modèle. En octobre de la même année, j’ouvrais ma boutique-atelier ici au Sablon.
LMdO : Pourquoi le Sablon plutôt qu’ailleurs ?
L.E : C’est un endroit privilégié de Bruxelles. La clientèle est aisée et principalement composée de connaisseurs mais il y a aussi une émulation. Il n’y a pas ou peu de grandes enseignes au Sablon. C’est une corporation d’artisans qui forment une famille avec un esprit tourné vers l’excellence, il y a une âme dans ce quartier. Je voulais être visible et surtout m’inscrire dans la logique de cette tradition des métiers artisanaux.
LMdO : C’est quoi une bonne paire de lunettes ?
L.E : Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit avant tout d’une prothèse. Le rôle de l’opticien est donc primordial dans l’adaptation des verres et tout ce qui a trait à la correction. Mécaniquement, la paire de lunettes doit être parfaitement adaptée à la morphologie du client : le soutien du nez, les parallélismes et symétries respectées, les alignements, bref tout ce qui fait le confort. Mais pour la belle lunette, c’est bien souvent le matériau qui fait la différence. La lunette de très grand luxe était souvent réalisée en écailles de tortues. Les législation sont passées par là et il est très difficile de se procurer la matière première. Reste que l’on fait des merveilles avec l’acétate de cellulose qui se décline de mille façons différentes. La corne de buffle est aussi un matériau extraordinaire quoi que plus délicat à travailler. Et bien sûr, on peut explorer toutes les pistes qu’offrent les métaux plus ou moins précieux.
Personnellement, je me limite pour l’instant à l’acétate de cellulose et à la corne.
LMdO : Avec l’idée de te frotter à d’autres matériaux à un moment ou un autre ?
L.E : J’ai encore un module de formation à faire à Morex, ce sera celui qui concerne les métaux. Il est clair que je fabriquerai des montures métalliques un jour. Mais toujours dans le même esprit : artisanat avant tout, il ne sera jamais question de découpes laser ou de fraiseuses automatiques. Je veux que ces modèles sortent de mes mains.
LMdO : Qui sont tes clients ?
L.E : Un industriel italien inonde le marché grand public d’une quantité énorme de modèles, qui au final se ressemblent tous car les designers sont les mêmes. On retrouve ces modèles dans toutes les marques connues qui viennent à l’esprit du grand public. Les clients exigeants en recherche d’exclusivité ont du mal à y trouver leur bonheur et préfèrent jouer la carte du sur mesure. Tu sais, de surcroît les notions de « made in » sont très discutables : un design italien dont les pièces sont toutes produites en Asie et assemblées avec 4 vis à Milan sera estampillé « made in Italy ». C’est parfaitement légal mais personnellement, je trouve que le client est trompé. Chez Ludovic Lunetier, 100% de la monture est made in Belgium, in Brussels, in Sablon in my workshop. D’ailleurs, les passants peuvent me voir de la rue et j’invite très souvent les clients à descendre dans l’atelier. Succès garanti car oui, certains clients sont très attachés au travail artisanal, le vrai.
Pour revenir au client, je procède à une analyse rapide de sa personnalité en tenant compte des ses goûts et de ses désidératas. A la table à dessin, je fais quelques croquis que je superpose à une photographie du visage. Les propositions sont envoyées pour un choix définitif et je passe alors à la réalisation. Ces étapes prennent un mois environ entre le premier contact et la livraison.
LMdO : J’ai l’habitude de considérer les artisans comme les premiers acteurs de l’économie durable. Une paire de lunettes est-elle faite pour plusieurs générations ? En est-on le gardien ou le propriétaire exclusif ?
L.E : Disons que ce sont des objets d’utilisation intensive qui peuvent subir des dégâts parfois irréversibles quelque soit la qualité de fabrication. Néanmoins, certains clients viennent au magasin avec des montures « oubliées » de leurs parents ou grands-parents. Je réalise les transformations et les mises à mesure pour le confort du client. Je repolis toutes les surfaces et les lunettes sortent comme neuves pour une seconde vie. Oui avec un peu de soin les lunettes traversent les années. En tout cas, les miennes sont fabriquées pour pouvoir durer longtemps. Malgré tout, cela reste un objet très intime et personnel, psychologiquement parfois difficile à transmettre.
LMdO : Comment vois-tu l’avenir ?
L.E : Les premiers pas dans cette aventure sont extrêmement positifs. Mon premier client était un américain de passage au Sablon. J’en suis fier même si je dois confesser que j’ai un peu de mal à voir mes lunettes disparaître dans la nature, sortir de mon univers. C’est en partie compensé par un habitant du Sablon, un voisin en somme, qui me salue tous les jours et qui porte fièrement une monture Ludovic Lunetier.
Tout cela pour dire que je fais un métier formidable, proche des gens. Sur le plan créatif, je dois encore améliorer mes réalisations. J’ai vu des modèles fabriqués à la main par les Meilleurs Ouvriers de France de Morez qui sont de véritables œuvres d’art avec un sens du détail inouï. C’est vers cela que je veux aller et je compte parfaire ma formation avec ces anciens lunetiers aujourd’hui à la retraite mais qui sont garants de la transmission du métier. Je n’exclus pas non plus de créer des modèles qui feraient appel à d’autres compétences en joaillerie ou en gravure par exemple, un travail à quatre mains. Je suis d’ailleurs en contact avec plusieurs designer intéressés par ce challenge.
Ludovic Elens Lunetier : le Site Web































Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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