Le Démocrate : imprimeur traditionnel … comme il y a 100 ans !
Le Démocrate a été fondé le 4 février 1906 par un homme qui s’appelle Pascal Ceccaldi. Avocat corse, il monte sur Paris pour démarrer sa carrière politique. Nommé à la sous préfecture de Vervins, il crée le journal pour se présenter aux élections législatives de 1906. A cette époque, de nombreux candidats à l’Assemblée Nationale ont leur propre journal, moyen efficace et disponible pour communiquer avec la population locale. Suite à son élection, il conserve le titre avec 6 parutions par semaine. 30 personnes étaient alors affectées à la fabrication réalisée entièrement en typographie aux caractères mobiles de plomb.
La Première guerre Mondiale éclate et les allemands récupèrent tout ce qui peut être fondu pour l’effort de guerre. L’imprimerie est une première fois obligée de fermer ses portes pour quelques années. Député, maire et président du Conseil Général, Pascal Ceccaldi exempt d’obligations militaires de par ses fonctions décide malgré tout de rejoindre le front. Il en revient quelques mois plus tard. Vervins occupée, c’est à Paris qu’il atterrit où il y meurt sans jamais revoir Vervins. Son frère Antoine préside alors à la destinée de l’entreprise.
Pour employer moins de personnel et moins de matières premières encore difficiles à trouver au sortir de la Guerre, le journal passe à un tirage trihebdomadaire. En 1927, une rotative suisse révolutionnaire pour l’époque avait déjà avantageusement remplacé l’impression feuille à feuille. Cette horloge de 84 ans fabrique encore aujourd’hui les 1000 exemplaires hebdomadaires vendus par le journal, en une passe et pliés au format postal légal. C’est vers 1936, que la Linotype fait son apparition dans l’atelier et remplace les caractères mobiles par des lignes de plombs fondues sur place et encore utilisées à l’heure d’aujourd’hui. Cette avancée technologique majeur permet encore de réduire le personnel.
La direction des années de guerre décide de cesser les activités pendant le conflit mondial pour ne pas avoir à passer des communiqués de guerre imposés par les nazis. Le Démocrate de l’Aisne est donc le seul journal du département à avoir pu reparaître sous son nom d’origine après la guerre. L’histoire se répète et la pénurie de matières premières et de main d’œuvre d’après guerre oblige le journal à réduire la voilure et à passer en publication hebdomadaire.
En 1988, après plus de 80 années à la barre, la famille Ceccaldi se retire laissant Vervins orpheline de son Démocrate. Le Maire de l’époque lance un appel aux dons pour garder le Démocrate en vie. Il survivra un peu jusqu’au dépôt de bilan début 2000. Depuis, une association « loi de 1901″ veille à la destinée du titre sous l’appellation des » amis du Démocrate ». Laure Michaux (journaliste), Dominique Picard (typiste) et Serge Dussart (typographe imprimeur) sont les trois employés du journal.
Laure : » Au Démocrate, le seul ordinateur dont on dispose me permet de rédiger mes articles et de les imprimer comme tout le monde pour que Dominique puisse fabriquer les lignes de plomb à la Linotype. Serge assemble alors ce véritable puzzle de 30 kg par page. Les 4 pages hebdomadaires sont placées dans la rotative qui va sortir les 1000 exemplaires en seulement quelques minutes. Mais avant cela, il aura fallu veiller à tous les réglages et à huiler les rouages de cette veille dame de 84 printemps. »
Les incidents sont rares mais ils peuvent mettre à mal la sortie du journal. Une bobine de papier qui s’engage mal, une tension mal ajustée, un graissage défectueux et le précieux travail peut prendre beaucoup de retard. Or, le jeudi après midi, c’est la course dans le petit atelier. Dominique s’emploie à la fabrication des dernières lignes de plomb, Serge ajuste les articles dans ses cadres avec un jeu de cales en bois et d’épaisseurs, Laure veille aux dernières corrections. Chacun est concentré pour pouvoir livrer à 16.00 tapantes les 1000 exemplaires dont un d’eux part chaque semaine pour l’Australie …
Le Démocrate n’existerait probablement plus si le mode d’impression changeait et se modernisait. Ici, pas de photos, pas de couleurs, pas de publicités. Les quelques tentatives techniquement lourdes qui ont été réalisées pour intégrer des images au journal se sont soldées par un quasi levée de bouclier de la part des lecteurs. Certains le collectionnent de générations en générations et n’entendent pas que leur journal local change d’allure.
Quant à l’avenir, Dominique et Serge ne sont plus très loin de la retraite. Les encres, les papiers, le plomb deviennent difficiles à trouver. Il faut souvent s’adresser à l’étranger pour encore trouver le savoir faire pour les réparations de la linotype et de la rotative. Pour combien de temps encore ? Il n’existe plus d’école pour former la relève. Le métier a radicalement changé depuis l’avènement de l’informatique. Former des jeunes sur le tas ne leur garantirait aucune reconnaissance légale de leur savoir faire. Qui peut parier sur le devenir de l’imprimerie pour les années à venir. Il y a beaucoup de chance pour que l’imprimerie se mue en musée vivant dans les années qui viennent. Malheureusement, même le plus beau musée du monde ne rendra jamais la saveur d’un petit atelier vivant de campagne ….
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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