Cloutier Rivierre à Paris depuis 1888 !
Clou, semence de cordonnier, semence de tapissier, clou tapissier, clou forgé, pointe, goujon, rivet …
Frappe, Forge et Coupe ! C’est la recette miracle qui anime la manufacture Rivierre de Creil en région parisienne depuis 1888. Depuis tout ce temps, ce sont des rivières de clous qui sont sorties de la clouterie où rien n’a vraiment changé. Tout au plus a t’on cédé à l’électrification des quelques 325 machines (!) construites entre 1892 et 1925 qui à l’origine étaient alimentées par une machine à vapeur. Comment un cloutier plus que centenaire peut-il résister dans le monde ultra moderne qui nous entoure ? C’est ce que LMdO a demandé au jeune directeur de la société Rivierre, Luc Kemp.
Luc Kemp : Tout a démarré en 1888 quand Théodore Rivierre et Olivier Watteuw ont déposé un brevet qui permettait de fabriquer les clous en une seule opération, ce qu’on appelle la fabrication de semences en continu. Jusqu’alors, on utilisait un procédé hors tôle : il s’agissait d’arracher un bout de fer dans la tôle et de frapper la tête. Il y avait donc deux opérations faites de manière séparée. Le nouveau procédé a donc pour la première fois permis de fabriquer un clou pyramidal ou carré à partir d’un fil rond tout en faisant la pointe et la tête en même temps : les fameuses frappe, forge et coupe.
LMdO : Des équipements qui permettent donc d’aller deux fois plus vite.
LK : Beaucoup plus vite oui. A cette époque la demande en clous est énorme. Théodore Rivierre décède assez rapidement et sa veuve reprend les rênes de la société jusque dans les années 30. C’est véritablement elle qui va faire prospérer la société en multipliant les investissements (nombre de machines) et en engageant jusqu’à 300 personnes au service de la manufacture. Elle se tourne aussi à la sortie de la guerre vers l’export en livrant de l’Indochine à l’Argentine.
A la fin de sa vie, elle vendra la société à son principal fournisseur de fil qui y voyait là un très bon débouché pour sa production. Les deux tréfileries de l’entreprise ont vu le jour à cette époque et elles sont toujours en activité aujourd’hui à côté de l’atelier de fabrication proprement dit. En 1989, la
société Commercy Soudure est rachetée par Air Liquide intéressé par les activités de soudure du groupe mais pas du tout par la clouterie. Le directeur technique de l’époque rachète donc la société et me la vend en 2005.
LMdO : Qu’est-ce qu’un jeune entrepreneur peut venir faire dans une manufacture aussi particulière?
LK : Je suis issu de la grande distribution et de la gestion et je n’avais pas vraiment l’habitude des ateliers mécaniques. J’ai repris l’entreprise pour son savoir faire unique et mondialement connu, convaincu du potentiel qu’elle a encore. Rivierre était tellement connue et unique qu’elle n’avait plus de service commercial depuis 25 ans quand je l’ai rachetée. Elle continuait à vivre grâce à la fidélité de ses clients. J’ai vite compris en discutant avec les salariés que Rivierre était une entreprise pleine de potentiel.
LMdO : Vous y avez apporté votre expérience?
LK : Oui, bien sûr. J’ai assoupli notamment les quotas minimaux imposés jusque là et qui étaient vraiment élevés. Nous sommes maintenant capables de faire des séries beaucoup plus petites avec un maître mot : « flexibilité »! La semence à l’ancienne est mondialement prisée dans des secteurs aussi différents que le jouet, la maroquinerie, les tonneliers et le secteur de la restauration d’art. Nos clients sont nombreux, variés et exigeants. Il a fallu remettre l’entreprise aux normes de qualité de service de notre époque en conservant son savoir faire. On retrouve notre production au château de Versailles par exemple et nous travaillons actuellement sur des demandes du parlement londonien. C’est parfois surprenant.
LMdO : L’industrie de luxe aussi compte sur votre savoir faire de cloutier ?
LK : Effectivement, certaines de nos semences sont recouvertes d’or à la sortie de nos ateliers pour intégrer des productions de grand luxe dans chez des artisans très prestigieux. Nous travaillons aussi le maillechort qui est un des métaux les plus nobles pour produire des clous et des pointes. Ce métal est composé de cuivre, de zinc et de nickel. Son aspect est d’un blanc mat, d’où aussi la dénomination de « clous blancs ». Sa composition lui donne une forte résistance à toute corrosion. Il nous arrive de faire des livraisons calibrée où les semences sont sélectionnées au 100ème pour nos clients les plus exigeants. En outre, nous sommes en mesure de travailler beaucoup de matériaux différents qui, combinés aux tailles, constituent un catalogue de 2800 références disponibles. La production d’un cloutier est donc très diversifiée.
LMdO : Et on n’a rien trouvé de mieux que ces 325 (!) magnifiques machines plus que centenaires ?
LK : A mon arrivée, j’avais l’intention de remplacer le parc de machines par de l’équipement moderne pour gagner en productivité. J’ai vite compris que j’allais devoir y renoncer pour la bonne raison qu’il n’y a pas mieux. Elles sont d’ailleurs introuvables puisque Rivierre a construit tout son parc en interne, nous sommes les seuls cloutiers à en disposer.
LMdO : Un gros travail de maintenance en perspective donc pour garder ces pièces uniques en état de fonctionnement parfait ?
LK : Et bien, nous sommes en mesure de garder les réglages machine opérationnels jusqu’à deux mois. Bien réglées, elles sont donc assez performantes et réclament peu d’intervention. Etant donné l’ampleur du parc, nous avons malgré tout un atelier mécanique conséquent qui veille sur nos machines. Nos mécaniciens disposent d’un savoir faire unique puisque nous devons être capables de tout réparer en interne. Notre vingtaine d’employés est assez polyvalente. C’est une façon de perpétuer le savoir faire.
Cloutier Rivierre : le Site Web.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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