Cire contemporaine : Yaël Ohayon cirière.
La Belgique compte encore quelques maisons de belle renommée spécialisées dans la bougie et le cierge artisanaux depuis parfois des générations. Une d’entre elles est même dans le giron très sélect des Fournisseurs de la Cour. J’ai essayé pendant des années de rentrer dans leurs ateliers. En vain. Des choses à cacher ? Allez savoir. Yaël est une cirière d’une autre école, celle de l’ouverture, peut-être parce que sa grand mère lui a tout transmis, dans le plus grand secret justement. Visite !
Dans les années 70, Eliane de Velcroix réalise des bougies artisanales dans sa cuisine sous l’œil attentif de sa petite fille Yaël. La technique de la cirière est rudimentaire et empirique puisque les mèches sont notamment faites de lacets de chaussures trempés dans la cire. La formation de pharmacienne d’Éliane lui donne accès aux matières premières assez facilement et les flacons vides font des moules parfaits pour commencer à créer des bougies. Chemin faisant elle se professionnalise au point de fournir certaines enseignes de renom comme l’Innovation par exemple. Elle exposait aussi au Design Center Galerie Ravenstein à Bruxelles, un endroit des plus prestigieux à l’époque. Elle importe jusqu’au Japon à une époque où la concurrence est faible et où les grandes enseignes n’inondent pas encore le marché de produits bas de gamme fabriqués à l’autre bout de la planète. C’est donc imprégnée de cette expérience de jeunesse que bien des années plus tard Yaël abandonne sa première vie dans le marketing pour devenir cirière.
LMdO : Tu as beau avoir été plongée dans l’univers de la cire depuis ta plus tendre enfance, passer du marketing à la cire, l’exercice est peu commun ?
Yaël Ohayon : Il y a eu l’épisode des jardins entre les deux. C’est mon autre grande passion puisque à cette époque, je voulais devenir paysagiste. J’ai donc entrepris une reconversion qui a tourné court quand je suis tombée enceinte de mon premier enfant. C’était beaucoup trop physique et il aurait fallu d’ailleurs que je reprenne de longues études pour prétendre pouvoir revendiquer le titre de paysagiste. La passion des jardins m’est restée mais c’est à ce moment là que j’ai commencé ma vraie reconversion dans la cire contemporaine. Enfin, je parle de reconversion je devrais plutôt parler de prise d’indépendance puisqu’en réalité j’ai toujours fabriqué des bougies avec ma grand-mère. La transmission s’est faite naturellement et intelligemment : elle m’a toujours laissé une grande liberté d’action et ne m’a jamais empêchée d’explorer les chemins de traverse.
LMdO : C’est quoi la cire contemporaine ?
YO : Ma grand mère fabriquait des pièces très colorées, très bigarrées en phase avec l’idée que l’on peut s’en faire des années 70. Je l’ai beaucoup assistée et pour être honnête, je n’en pouvais plus de cette débauche de couleurs. Je voulais revenir à des choses plus simples, plus minérales. Des taupes, des grèges, des noirs, toute une gamme totalement inexploitée à cette époque. J’ai proposé d’emblée des produits assez bruts, des parallélépipèdes rectangles de grandes tailles et des cylindres imposants. Les décorateurs en redemandaient. Tout cela est venu tellement naturellement qu’il n’y a pas si longtemps que je considère mon activité de cirière comme un vrai métier. C’est un artisanat en perpétuel renouvellement. Une création du jour, en cela aussi c’est contemporain au sens strict du mot.
LMdO : Te considères-tu comme une artiste ? Tes grandes pièces me font penser à des sculptures.
YO : Je n’ai pas de message à faire passer. Créer une bougie n’est pas compliqué. Ce qui l’est, c’est de rester constante et cohérente dans son travail sur la durée. Ce qui m’intéresse, c’est la couleur et la matière. C’est créer une émotion. Mon mari est un artiste renommé qui expose partout sur la planète et qui est multidisciplinaire. Je me nourris de son art dans mes créations et inversement. On collabore en respectant notre espace mental de création. Le texte nous unit assez bien puisque Alessandro (ndlr : Alessandro Filippini – Sculpteur) s’exprime beaucoup de cette manière et que mes créations exploitent aussi beaucoup cette piste. La répétition m’ennuie, je me verrais mal devoir honorer une commande de plusieurs centaines d’exemplaires d’un même modèle comme ma grand mère pouvait le faire. On va dire que je suis un artisan d’Art mais pas une artiste.
LMdO : C’est quoi une bonne bougie ?
YO : C’est d’abord une bonne cire. Elles sont très diversifiées. C’est ensuite une mèche de qualité qui puisse subir des allumages à répétition. La lumière doit être belle. Et la forme conditionne aussi la façon dont la bougie va s’évaporer. J’aime bien qu’une bougie s’exprime en disparaissant et se déformant. Elle nous raconte des histoires à chaque fois différentes. Je déteste les bougies aseptisées qui ne s’expriment pas. Elles doivent vivre en mourant. Je fais beaucoup de recherches sur la nature des cires en essayant de me désolidariser du pétrole. Je travaille avec la cire de soja, de colza ou d’abeilles, des matières proches de la nature. Mon amour des jardins n’est jamais loin.
Le mot « bougie » n’est apparu dans la langue française qu’au XIVe siècle, tiré de Bugaya transcription en arabe du mot Kabyle Bgayet, nom d’une ville maritime d’Algérie (actuellement Béjaia). Elle fournissait une grande quantité de cire utilisée à la place du suif dans les chandelles, qualifiées alors de « bougies » : sur le plan terminologique cette appellation est réservée à un instrument fait exclusivement de cire d’abeille. [wikipédia]
LMdO : Quel bonheur te procure tes créations ?
YO : Ma méthode de fabrication a ceci de particulier que le décor, donc la finition, est une surprise qui ne se révèle qu’au démoulage. C’est à chaque fois un moment privilégié avec ses bonnes et ses mauvaises surprises. C’est un peu comme un céramiste qui ouvre son four, les émaux se sont fixés et les pièces prennent leur caractère, leur personnalité. Certaines déceptions deviennent au fil du temps des références car entre temps, j’ai appris à vivre avec et à les redécouvrir avec un œil bien veillant. Je les apprivoise, parfois en les associant simplement entre elles.
LMdO : A l’heure des fragrances et des bougies parfumées, je ne sens rien qui aille dans ce sens là dans ton atelier. C’est un choix ?
YO : C’est un autre métier, celui d’un parfumeur. De plus, il y a beaucoup de problèmes de toxicité. Faire brûler des parfums n’est pas sans conséquences. En réalité, j’ai une gamme de bougies parfumées mais je travaille avec un partenaire dont c’est le métier, c’est du travail à façon. Il est certain que la grande tendance va vers la bougie parfumée, ce qui est indissociable pour beaucoup de clients. Il a fallu que je m’adapte. Techniquement, une bougie parfumée doit être dans un contenant parce que son degré de fonte est très bas, la cire est meuble même froide. Le parfum doit exhaler, pas brûler. Tu auras remarqué que mes bougies sont principalement autoportante, sans contenant. C’est ce qui fait ma patte. En réalité le travail autour de la bougie parfumée est surtout un travail de packaging du contenant. C’est une démarche qui ne m’intéresse pas beaucoup. Je cherche la forme, la couleur avant tout. Si je devais vraiment faire de la bougie parfumée je m’associerais à un céramiste ou un verrier pour que les contenants ne soient pas industrialisés. Je pense aussi que je ne chercherais qu’une seule fragrance qui ferait ma signature. C’est une vraie démarche.
LMdO : En parlant de produits industriels, comment te positionnes-tu quand on voit la puissance des grandes enseignes qui sont en capacité de vendre à des prix que tu ne pourras jamais concurrencer ?
YO : J’occupe une niche, celle du travail sur mesure et à façon. Mes clients ne peuvent pas trouver ce que je fabrique dans la grande distribution, ça suffit à me faire exister. J’aimerais beaucoup pouvoir montrer mon travail dans un atelier visible de la rue au centre ville et proposer un travail en perpétuel évolution aux passants.
LMdO : Tu fabriques aussi des cierges à vocation religieuse. Est-ce différent ?
YO : Techniquement c’est un peu différent. Les cierges pour le culte catholique doivent contenir de la cire d’abeille. Ce n’est pas une obligation mais c’est ma grand mère qui me l’a transmis. Je respecte donc cette tradition propre aux cirières à la lettre. Mais je travaille pour tous les cultes. Je partage une certaine forme de spiritualité avec l’humanité même si je suis athée. La bougie est un moment de réunion, de partage quelque soit la confession. Le temps de fabrication est énorme par contre, cela peut me prendre une journée entière puisqu’il faut y aller par vagues successives de coulages et de trempages. Mais ici aussi, les clients cherchent l’exclusivité en choisissant des modèles uniques et façonnés selon leurs désirs. Certains sont très traditionalistes, d’autres osent plus la nouveauté mais dans tous les cas je pense qu’ils ont une fibre artistique qui fait que notre langage est commun. La rencontre est très importante même si parfois je n’ai pas de contact direct. La boutique Chéret à Paris est spécialisée dans l’art liturgique et je fabrique 7 à 8 cierges d’exception chaque année pour eux : dans ce cas là c’est la réputation de la boutique qui me met en contact indirect avec le client..
LMdO : Comment gères-tu le côté éphémère de ton travail ?
YO : C’est ambigu en fait. Des clients sortent de l’atelier en me disant qu’ils ne vont pas faire brûler la bougie parce que elle est trop belle. C’est une métaphore de la vie, les bougies sont destinées à disparaître comme nous mais j’avoue que je fais parfois de la rétention. Garder une belle pièce bien à l’abri des flammes pendant quelque temps pour l’admirer, ça m’arrive. Mais tôt ou tard, son sort en sera jeté. Mon grand plaisir, c’est d’offrir une bougie et que mon hôte l’allume immédiatement, j’adore.
Yaël Ohayon : le Site Web.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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