Arme de chasse de grand luxe : Lebeau-Courally armuriers depuis 1865.
Le Dauphin, le Baron, le Marquis, l’Archiduc, le Prince, le Chevalier et le Big Five : le décor est planté, ici c’est l’excellence qui prime. Aujourd’hui, une arme va être livrée. Dans le show room, le geste est donc précis et ferme. La main est délicatement gantée. La mécanique est contrôlée, une fois encore. Le certificat du banc d’épreuve est prêt. L’écrin aussi, il a été fabriqué entièrement sur mesure dans les ateliers français de maroquinerie du groupe. Anne-Marie Moeremans répète les contrôles immuables à la livraison d’une arme de chasse de cette qualité. Tout doit être parfait, jusqu’au moindre détail.
L’histoire a commencé il y a plus d’une année quand un client a probablement réalisé le rêve de toute une vie : acquérir un arme de chasse de grand luxe griffée Lebeau-Courally, la Rolls des fusils de chasse. L’histoire de la maison commence à Hermalle-Sous-Argentau en 1865, en plein boum industriel, quand Auguste Lebeau lance les bases de l’entreprise en développant notamment l’étonnant et méconnu VéloDog.
A cette époque les facteurs étant régulièrement attaqués par les chiens sauvages, la poste décide de les armer d’un petit révolver pour pouvoir régler leur compte aux canidés trop agressifs. Lebeau en construira des centaines avant de se tourner vers ce qui fera la réputation de la maison sur la planète entière : les armes de chasse de grand luxe. Trente ans plus tard, en 1894, il s’associe avec Ferdinand Courally. L’association sera de courte durée puisqu’en 1896 Auguste Lebeau décède lors d’une expertise au Portugal. Le soleil méditerranéen a eu raison de l’armurier qui décède d’une insolation. Mr Courally continuera l’aventure seul tout en gardant la référence à Lebeau qui est respecté de tous dans le bassin liégeois notamment pour les nombreux brevets qu’il a déposé.
En 1945, Joseph Verrees, un fondé de pouvoir de la Banque Générale à Liège, amateur d’armes se lance dans la fabrication de fusils ordinaires par amour du métier. Il rachète Lebeau-Courally en 1956 après la mort de Mr Courally. Pour acceuillir cette nouvelle activité, il ajoute un étage à sa manufacture d’armes qui est encore implantée aujourd’hui rue Saint-Gilles à Liège.
L’activité est double. Sous la marque Verrees, l’atelier livre jusqu’à 250 fusils par semaine en Thaïlande pour le tir au canard. Lebeau-Courally excelle avec ses modèles très haut de gamme et sans compromis. La concurrence asiatique se met en place et le marché occupé par Verrees est complètement absorbé par les constructeurs à bas coûts. La maison liégeoise se recentre alors naturellement sur son activité historique qu’elle ne lâchera plus.
Mr & Mme Verrees n’ayant pas d’enfants, c’est leur nièce Anne-Marie Moeremans qui prendra le relais dans les années 80 après avoir été élevée par le couple d’armuriers dans une véritable culture des armes. A l’époque, le microcosme de la chasse lui donnait six mois. Une femme, pensez donc ! Parfaitement formée au maniement des armes par son oncle et par les ouvriers de la manufacture, le machisme n’a pas eu raison d’elle. Anne-Marie Moeremans est respectée de tous et veille toujours à la qualité sans compromis des armes de la maison. C’est elle qui nous reçoit dans les ateliers liégeois.
LMdO : C’est quoi un fusil Lebeau-Courally ?
Anne-Marie Moeremans : C’est un bijou ! On part de matériaux bruts et pendant une année, on façonne, on polit, on ajuste pour en faire un objet d’une ergonomie parfaite. Les vieux armuriers comparent une arme réussie au galbe parfait du sein d’une belle femme. J’ai toujours gardé cette image en tête. Pas moins de 27 corps de métiers sont nécessaires à l’aboutissement du fusil. J’aime à présenter mes armes en blanc (NDLR : sans gravure) car elles révèlent toute leur subtilité sans le costume de la gravure qui détourne un peu l’attention sur le travail de base. Mon chef d’atelier me disait souvent, tu peux mettre le plus beau des costumes à un poireau, ça restera un poireau. Le poireau, c’est un fusil mal foutu.
LMdO : Un Lebeau, c’est une œuvre d’art que l’on aurait tendance à ne pas oser utiliser ?
AMM : C’est parfois le paradoxe en effet. Certaines de nos pièces n’ont jamais tiré que les charges du banc d’épreuve indispensables à l’homologation et à la vente de l’arme. Mais nos fusils sont conçus pour aller sur le terrain et à être utilisés intensément. Ils sont d’ailleurs garantis à vie et cette garantie est transmise à chaque propriétaires successifs. On n’est jamais vraiment le propriétaire d’un Lebeau-Courally, on en est le gardien pour la génération suivante.
LMdO : Au point d’observer des cycles dans le passage des armes à l’atelier ?
AMM : Certaines armes réapparaissent parfois de façon inattendue. Elles ont parfois été livrées il y a plusieurs dizaines d’années et ont toute une histoire derrière elles. Parfois, nous redécouvrons certaines techniques utilisées par nos prédécesseurs puisque les plans accompagnant systématiquement l’arme sont récents. Nos ancêtres étaient finalement des artistes qui mettaient les pièces d’un beau puzzle ensemble. Par essai, erreur, ils avançaient dans la fabrication par étape mais sans documenter. La transmission se faisait d’ailleurs de façon orale et parfois de façon laborieuse puisque certains armuriers sont morts avec leurs « petits secrets ». Nous écrivons l’histoire de la maison tous les jours.
LMdO : Par les temps qui courent aimer les armes, ce n’est pas toujours politiquement correct. Comment réagissez-vous lorsque l’on critique votre activité ?
AMM : En général, je réagis de la façon la plus constructive qui soit. J’invite les personnes à venir nous visiter pour comprendre. Beaucoup de nos détracteurs confessent que leur regard change. Ils ne considèrent plus forcément nos armes si négativement mais les entrevoient comme des œuvres d’art. Ceci étant, on ne peut pas convaincre tout le monde.
LMdO : Qui sont vos clients ?
AMM : Notre clientèle est internationale et fortunée. Un fusil qui nécessite un an de travail dans les mains de pas moins de 27 artisans, c’est évidemment très cher. Un Lebeau-Courally se négocie au prix d’une très belle berline de luxe, c’est comparable. Les cours Royale du monde entier connaissent nos armes. Nous avons reçu dans nos murs le cinéaste Steven Spielberg, le Tsar Nicolas II, Valéry Giscard d’Estaing, le Roi d’Espagne. Mais il arrive aussi que des connaisseurs amoureux de nos armes passent commande pour réaliser le rêve de leur vie. Cela m’est arrivé avec un chauffeur de taxi marseillais par exemple. Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie : l’intérêt commun que nous pouvons avoir avec le client au sujet de l’arme suffit à faire tomber toutes les barrières.
LMdO : Y a t-il une arme qui vous ait marquée plus qu’une autre ?
AMM : J’ai des histoires plein la tête. De quoi remplir de longues pages mais l’histoire du Napoléon sort vraiment de l’ordinaire. Un bruxellois passionné par les guerres napoléoniennes me commande un jour une arme qu’il désire faire graver à la gloire de son idole. Nous fabriquons un magnifique fusil qui passera dans les mains du meilleur graveur sur arme au monde : Alain Lovenberg (voir mon article). De ce magnifique fusil, Alain va en faire une œuvre d’art en combinant sur les différents tableaux les cinq techniques de gravure. C’est une pièce absolument exceptionnelle. Nos destins sont d’ailleurs liés : si Alain est devenu le virtuose qu’il est, c’est grâce à Lebeau. Si Lebeau est devenu ce qu’il est, c’est grâce à Alain.
Cinq ans après la commande, l’arme est enfin prête et l’acheteur ne tire plus, il a raccroché! Lors d’une foire, j’ai une photographie de l’arme qui traîne sur le stand. Des acheteurs russes montrent de l’intérêt. L’arme partira à Mouscou quelques semaines plus tard. Les temps passe et de passage à Moscou, l’intermédiaire lors de la vente me signifie vouloir me faire une surprise.
Escortée comme un chef d’état, je me retrouve au cœur du Kremlin avec tous les honneurs. C’est Sergueï Pougatchev, le numéro deux du régime qui m’accueille dans son bureau. Après le « Na zdorovié » obligatoire en pareilles circonstances, je ne sais toujours pas ce que je fais là, jusqu’à ce qu’il ouvre le coffre fort de son bureau et qu’il en sorte le Napoléon. J’en ai pleuré de joie.
LMdO : En 2010, la maison Lebeau-Courally prend un nouveau visage, parlez-nous de cela.
AMM : Continuer l’aventure seule devenait compliqué. L’industrie du luxe est de plus en plus souvent adossée à de grands groupes. Les armes ne font pas exception. Il faut se diversifier. Il était temps de trouver un partenaire qui innove et donne du rayonnement à notre belle marque en dehors des armes et du milieu des chasseurs. Il fallait conserver notre âme aussi.
Cette équation délicate, c’est Joris Ide, un industriel belge qui va la résoudre. Il était client depuis longtemps chez nous. Je lui ai revendu l’affaire en 2010. Joris est un homme pressé. Dans les mois qui ont suivi, il m’a fait part de sa volonté de créer d’autres objets de luxe griffés Lebeau-Courally. La mécanique armurière et horlogère ont des point communs : calibre, levier et barillet. Il fallait encore trouver l’originalité qui allait permettre à Lebeau-Courally de se démarquer dans le secteur de l’horlogerie. La clé fait son apparition sur les montres, elle est identique à celle des fusils et établit la jonction entre les deux mondes. En quelques années, les garde-temps de la marque seront accueillis avec beaucoup de respect par les professionnels suisses.
Les ambitions de Mr Ide sont grandes puisque depuis peu, Lebeau-Courally compte aussi dans sa gamme de la maroquinerie de grande qualité fabriquée en France dans une unité qui vient d’être rachetée par le groupe.
La Maison Lebeau-Courally : le Site Web
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
Comment
je suis un des dernier responsable de la fabrication des fusils les plus chers au monde Lebeau courally (Tony). Tous les fusils fabriqués ces 30 dernières années, j’en ai assumé la fabrication et pour cela je voudrais remercier tous les artisans qui ont travaillé pour fabriquer tous les fusils de chez Lebeau courally. Cela a contribué à garder une valeur à la firme Lebeau courally.