Pascale Scuflaire oculariste, sculpteure de regards à Bruxelles-Gand-Anvers-Liège et Charleroi.
Les opticiens-lunetiers fabriquent (rarement) et règlent (souvent) les montures sur lesquelles ils ont adaptés des verres correcteurs. Il a quelques mois, je vous avais parlé de Ludovic Elens, seul et unique lunetier de Belgique à fabriquer ses montures entièrement à la main pour une clientèle exigeante.
Pascale Scuflaire quant à elle, est oculariste de profession. C’est un métier extrêmement rare, environ 500 personnes sont concernées par un appareillage chaque année en Belgique. C’est une discipline qui demande une bonne compréhension des aspects médicaux. Ce talent se mêle à l’artisanat et aussi à une certaine forme d’art. La profession requiert surtout une bonne dose d’humanité. La passion de Pascale pour son métier et ses patients est sans borne. Aborder le personnage, c’est ouvrir mille et un tiroirs, jusqu’à ouvrir celui qui renferme sa panoplie de clown. Son nez rouge fait partie de son matériel de travail pour mettre en confiance ses « petits bouchons », comme elle aime appeler ses patients les plus jeunes. Visite d’un atelier vraiment hors norme !
Mais au fait, oculariste, c’est quoi ? Il s’agit pour l’oculariste de fabriquer un œil artificiel en résine synthétique dans le but de « remplacer » un œil devenu inesthétique et non fonctionnel. L’oculariste fabrique des prothèses oculaires. L’atelier bruxellois maîtrise le processus à 100%. De la prise d’empreintes aux ajustements les plus précis, tout se passe juste à côté du cabinet de consultation, dans le laboratoire que j’ai visité.

Fière d’être oculariste !
Tout commence pour Pascale il y a une vingtaine d’années quand l’entreprise familiale pour laquelle elle travaille passe dans les mains d’un consortium d’actionnaires. Il n’y a plus que la rentabilité qui compte pour le nouveau propriétaire et, très vite, elle met un terme à sa première vie professionnelle qu’elle a passée à l’aide envers les mal-voyants. Elle entend bien continuer à travailler avec des patients et pas avec un portefeuille. Mais quoi faire ?
A cette époque, de la profession d’oculariste, Pascale ne sait rien ! Au plus a t’elle reçu quelques heures d’approche lors de sa formation d’opticienne mais rien de bien tangible. C’est un français qui va changer sa vie : Laurent Nouvet est parisien et oculariste de formation. Il a le savoir faire, la maîtrise mais il souffre d’un gros handicap sur le territoire belge : il n’a pas de numéro INAMI. C’est ce « détail » administratif qui va mettre Pascale sur son chemin. Grâce à son diplôme, elle va pouvoir donner à la patientèle l’accès aux remboursements des prothèses par la sécurité sociale belge. Le tandem est né de cette situation. Il faudra quelques mois à Pascale pour faire de cette opportunité professionnelle une véritable passion. Ce métier lui était totalement inconnu à cette époque. Aujourd’hui, elle en est devenue une référence.
LMdO : Comment vous êtes-vous formée à ce métier ?
Pascale Scuflaire : Il n’y a aucune formation officielle reconnue. La seule façon d’apprendre, c’est d’observer un professionnel aguerri, de suivre ses conseils, de l’imiter et de se corriger. Il faut plusieurs années pour y arriver mais je dois dire que ça s’est bien passé me concernant : après trois ans, j’étais autonome. Au niveau des formations, seuls les américains proposent des choses intéressantes en la matière. Chaque année, je me rends aux USA pour parfaire mes connaissances et échanger avec mes collègues internationaux. Nous ne sommes qu’une poignée sur le globe et se rencontrer est très important. La théorie s’apprend relativement facilement, la pratique c’est plus long. Il faut comprendre ce que font les médecins, ce que sont les pathologies pour pouvoir commencer à aborder l’appareillage oculaire et sa fabrication.
LMdO : Parlons pathologies justement, on comprend bien que l’on puisse perdre un oeil dans un accident domestique mais quels sont les autres cas de figures ?
PS : Les médecins pratiquent des énucléations ou des éviscérations de l’œil suite à des maladies ou accidents qui finissent par rendre l’œil inesthétique, non fonctionnel, voire douloureux. En ce qui concerne les enfants, les pathologies sont pour la plupart des rétinoblastomes qui constituent la tumeur intraoculaire la plus commune. Certains enfants naissent aussi avec des malformations oculaires qui peuvent être une absence d’œil monoculaire, voire binoculaire. Comme la fonction fait l’organe, l’oculariste doit entrer en scène pour aider au développement de « l’œil inexistant » afin de développer la cavité de l’œil. J’interviens régulièrement sur des bébés. Mais les maladies dégénératives sont l’apanage des personnes âgées. En fait, mes patient ont tous les âges.
LMdO : Et tous les profils psychologiques par rapport à ce qui reste une expérience traumatisante ? Perdre un œil, ce n’est pas rien …

Pascale Scuflaire, fière d’être oculariste !
PS : Tous les gens sont différents. L’oculariste intervient à la fin d’un processus parfois fort compliqué. Il faut faire le deuil d’un organe important, apprendre à vivre avec cette défiguration et l’accepter. Certains patients sont détruits psychologiquement et la prothèse n’y change pas grand chose. D’autres patients vont au contraire mettre à profit leur prothèse pour en faire une opportunité de reconstruction de leur personnalité. Les choses sont d’ailleurs rarement aussi tranchées : c’est un processus en constante évolution. Un enfant appareillé va bien souvent rejeter sur sa prothèse ses problèmes d’adolescence. C’est là où les relations humaines prennent toutes leur importances. L’oculariste, le patient et l’ophtalmologue doivent avancer dans un projet commun : celui d’un mieux, d’une image positive de soi mais qui a ses limites.
LMdO : Quelles sont-elles ces limites ?
PS : Une prothèse, c’est un compromis. Un œil, c’est vivant et ça évolue dans son éclat, sa forme sur des périodes courtes. Notre iris s’adapte en permanence à la luminosité. Dilaté en basse lumière, contracté en haute lumière. On voit donc les limites esthétiques de la prothèse qui est figée dans son expression. Par contre, les muscles continuent dans la plupart des cas à donner le mouvement qui rend le regard naturel, même en étant appareillé. C’est un petit jeu auquel je m’adonne régulièrement avec les nouveaux patients : le miroir leur renvoyant une image inversée, il leur arrive souvent de désigner l’œil fonctionnel comme étant l’œil appareillé. C’est la preuve que l’on ne travaille pas si mal … mais on triche, puisque ça reste un appareillage moins fonctionnel que ce que la nature nous donne à la naissance. On aide le patient à se réapproprier son image, à s’accepter devant l’épreuve du miroir. En dernière lecture, c’est quand même le patient qui est le seul à décider du résultat sur son mental.
LMdO : Revenons à l’atelier. Qu’est-ce qui fait que vous soyez si unique en Belgique et même au niveau international puisque vous avez même une patientèle étrangère ?
PS : Tout est fabriqué, traité et réglé ici dans nos installations. Il n’y a aucun intervenant extérieur. Nos prothèses sont 100% sur mesure et réalisées 100% à la main. De la prise d’empreintes au réglage final, nous maîtrisons tout. La plupart des autres intervenants vendent des prothèse oculaires qui sont fabriquées et réglées en France ou en Angleterre. Quand le patient pousse la porte pour récupérer son appareillage, les dés sont jetés et il reste très peu de marge de manœuvre. Chez nous, notre contact direct avec nos patients nous permet d’aller beaucoup plus loin dans l’adaptation et le confort. On recommencera autant que nécessaire, jusqu’à la « perfection » même si c’est un mot que je n’emploie jamais devant mes patients. De plus, et j’insiste, notre relation privilégiée nous permet aussi de les aider psychologiquement à s’accepter et à se reconstruire.
LMdO : Au point de les materner ?

Fière d’être oculariste !
PS : Chacun son rôle mais il est vrai que mes petits bouchons (les jeunes patients NDLR) m’imposent une double attention. J’essaie de transformer les consultations en séance de jeu pour dédramatiser un peu la situation. Je sors parfois mon nez de clown ou ma peluche conçue pour leur montrer ce que je vais poser comme acte technique. Je suis toujours dans le registre de la confiance et jamais dans le mensonge. Je ne tergiverse jamais avec la réalité. Je peux faire mon métier d’oculariste du mieux qu’il soit mais une chose en sûre : je ne sais pas ce que c’est de porter un prothèse ! Alors je leur dois une sincérité sans faille.
Certains adolescents arrivent parfois défaits au cabinet parce qu’ils détectent des signes de moqueries chez les autres ou parce qu’ils se demandent quelle attitude adopter avec une amoureuse par exemple. En parler, ne pas en parler ? Je ne tranche jamais pour eux mais je leur propose mon aide … « Tu sens les regards se poser sur toi à l’école ? Veux-tu que nous préparions une élocution sur le sujet ? Si tu sens prêt, tu vas devant la classe et tu casses le plafond de verre. »
En réalité, le nombre de personnes appareillées est relativement important. Il y a quelques rares contraintes professionnelles où n’avoir qu’un œil est bloquant (aviation) mais je suis certain que tout le monde à quelqu’un d’appareillé dans son entourage. Simplement vous l’ignorez. Une prothèse bien conçue s’enlève une fois par an en consultation. Il y a donc parfaitement moyen de vivre « normalement » en étant appareillé. La compensation sera la plupart du temps opérée par les capacités exceptionnelles de notre cerveau à s’adapter.
L’œil prend une symbolique extraordinaire dans certaines cultures … le troisième œil de la méditation par exemple. C’est dire que l’on touche au sacré et que l’on n’est pas tous armés de la même façon pour faire face à ces incidents de la vie. La prothèse doit tirer les patients vers le haut. Ca doit devenir une force, c’est ce que je répète aux enfants. Je leur parle de leur œil magique et jamais de prothèse. S’accepter, c’est faire que le regard des autres soit bienveillant, c’est un cercle vertueux. Une prothèse ne vit pas, c’est un objet inerte qui ne prend vie que quand elle joue son rôle dans le regard. Le sourire d’un patient lors de l’épreuve du miroir, c’est la meilleure des récompenses pour moi.
Pascale Scuflaire, Ocularistes Associés : le Site Web
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
Comment
Magnifique, intéressant reportage sur un métier que je viens de découvrir. Merci beaucoup Patrick.